Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire.

Quelle semaine, quelle fin d’année, mes aïeux!

Pas plus tard que mardi, je découvrai que mon jantil voisin du dessus, un quinqua d’obédience kabyle (comme tout l’immeuble – une véritable enclave igawawen, if you ask me), n’était pas danseuse exotique comme je me l’étais toujours plu à imaginer. Ce n’est pas que l’individu, un brin bonhomme et dégarni (qui plus est cycliste), me fasse fantasmer en quoi que ce soit ; non, c’est juste que mon quartier ayant conservé ce feel rétro que ne renierait aucune blogueuse mode, n’était son ancrage un peu trop treizièmiste, ce feel rétro, donc, m’a souvent renvoyée à mes lectures lycéennes quand on avait Raymond Queneau au Bac (Les Fleurs Bleues). J’avais lu Zazie dans le métro pour prolonger le plaisir et le tonton Gabriel, parfumé en Barbouze de chez Fior, y était danseuse exotique dans un cabaret pour “hormosessuels” (Oulipo + société encore un brin réac = that’s a bingo).

J’aimais cette idée : mon voisin rentrant tous les soirs à 2h du matin en moyenne, pour sauter dans sa douche (l’immeuble aussi a ce “feel rétro” 70s qui implique zéro isolation sonore), c’était une évidence. Pourquoi sauter dans la douche si ce n’est pour se défaire de la sueur mêlée aux paillettes et au maquillage d’une soirée de danse décadente et déhanchée, hmm? Je l’imaginais, jetant négligemment son truc en plume et son casque de vélo sur son canapé, allant se dévisser une bouteille d’Orangina ou de Canada Dry, pour se désaltérer après une soirée épuisante, en ouvrant machinalement les robinets de sa douche, dans une démarche pas du tout écolo-XXIe siècle, et vient ce qui suit.

Eh bien il s’avère que non, mon gentil voisin tient tout simplement l’une des tavernes de la Butte, une de celles qui servent du rhum arrangé le soir pour les étudiants, de la vieille gnôle en journée pour les habitués et, tout le temps, beaucoup de Grolsch. Kinda super ringard, surtout si on y ajoute cette prog’ musicale que n’auraient pas reniée les instances pensantes de MTV entre 1997 et 2002. Donc mon quartier muy typico, sorti tout droit de mes fantasmes de Raymond Queneau, était ramené à son être étant véritable de “quartier étudiant”, ergo un peu pas gégène. Pourtant, rien que d’écrire “MTV 1997-2002”, je viens d’en piger le potentiel meta et résolument avant-gardiste (surtout depuis ce bitching tumblr: http://rnb2love.tumblr.com/ – merci Mel 2 love). Est-ce qu’il savent et en sont conscients? Impossible. C’est beaucoup trop recherché pour ce quartier qui est et doit rester ringardos délibéré – chose que j’affectionne above all else, si vous me connaissez un peu (“débranché”, m’avait dit un patron de rade, une fois où on lui avait demandé s’ils faisaient des planches de fromage, et qu’il m’avait jeté un regard consterné voulant dire “hâché-frites ou va crever”).

Ils sont bizarres ces quartiers “typiques” et “authentiques”. J’ai beau n’être ici que depuis quelques mois, je perçois un peu plus chaque jour l’impasse à laquelle est confrontée la Butte, prise qu’elle est dans un folklore parfois sincère, parfois affecté, et surtout graduellement lissé, policé par l’arrivée d’une frange néo-bourgeoise pré-ironique qui tue la culture toute mélenchoniste du lieu (souvenez-vous). (Je vous arrête tout de suite: je suis peut-être néo-bourgeoise, mais certainement pas pré-ironique, et j’ai de la tendresse pour les mélenchonistes). Or doncques, pas danseuse exotique dans un cabaret gay old-school mais bel et bien cuistot dans un bar qui passe du RnB des années 2000.  Dans un quartier qui se couvre de plus en plus d’art mural Miss Tic, sur qui puis-je compter, désormais, pour combattre cette gangrène culturelle?

That awkward moment when, bien que nouvel arrivante un brin bourge, tu te sens investi de préserver l’authenticité d’un quartier contre ces insolents de bobos. Je vais pas tarder à avoir besoin d’un psy, si vous voulez mon avis.

18 thoughts on “Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire.

  1. quand j’y suis allée mardi soir, et la semaine d’avant, oh que oui j’ai remarqué que miss.tic et d’autres graffeurs/tagueurs? avaient envahis les murs et ça me plaît. j’aime bien ton article.

    • Merci :) – j’aime bien l’invasion des murs par des artistes muraux d’une manière générale, ça anime clairement le quartier, et je trouve ça chouette. Juste, MissTic, no. freaking. way. pour moi…

  2. haha “danseuse exotique”.
    c’est si bien, aussi, quand tu parles de paris.

    ça me fait penser que moi c’était avec le prisme de romain gary que je voyais mon quartier en référence à mes lectures d’ado. du coup, je fantasmais la vie d’une de mes voisines assez folklo que j’imaginais comme un genre de madame rosa sous prétexte qu’on était rue de belleville. :-)

    • Bah voilà, tu saisis parfaitement le truc. Je crois pas que Queneau ait situé Zazie à la Butte aux Cailles, mais depuis que j’y ai emménagé, je peux pas m’empêcher de voir ça comme ça ! :)

  3. ha oui, les Fleurs bleues au bac, je vois bien… (+ Le joueur d’échec et Tristan et iseult (<3) toi aussi ?)… Mais moi j'ai pas fait durer le plaisir avec d'autres Queneau parce que franchement Cidrolin et le Duc d'Auge là, j'en ai fait des cauchemars (huhu)

    sinon plus je te lis, plus j'ai envie d'aller faire un tour à la buttes au cailles. Je ne connais pas et j'ai l'impression de rater quelque chose. et arriver sur plusieurs articles à décrypter la vie d'un seul et même quartier, je trouve ça très fort.

    • Nope, j’étais team La Règle du Jeu et les Nouvelles de Petersbourg (j’avais tout adoré, ce programme défonçait). J’avais trouvé ça plutôt drôle et Zazie est assez différent des Fleurs Bleues, vachement moins high-concept, mais avec une utilisation marrante de l’argot et du Paris popu des 50-60s. Ca me fait plaiz de donner envie de faire un tour à la Butte aux Cailles, mersea :) (même si, avouons-le, ça te prendra pas plus d’un quart d’heure, c’est tout pitit)

  4. Il y a un vrai pb de pré-ironisme qui touche ce genre de lieux je trouve (rue Mouffetard, Shakespeare&Co…). Mais en fait, je me demande si leur authenticité a encore un sens. A partir du moment où on se dit “putain c’est tellement authentique”, est-ce qu’il est pas déjà trop tard ?

    Pour moi c’est le syndrome “A Moveable Feast” : A partir du moment où on trouve que la rive gauche d’Hemingway est trop classe, c’est qu’il est trop tard, on a perdu l’authenticité pour l’illusion de l’authenticité.

    En fait, je suis persuadé que l’une des caractéristiques de l’authenticité c’est qu’elle a pas conscience d’elle même. Ont peut pas se la jouer authentique. On est authentique et c’est tout. (il faudrait parler du dasein à ce moment pour faire bien j’imagine mais je maîtrise pas).

    Et je vois pas trop comment on peut recréer l’authenticité à coups de post-ironisme (tavu tavu tavu je réutilise tes concepts c’est la folie).

    • Alors en revanche, je trouve que la Butte n’est pas non plus au niveau Mouffetard, hein. Contrairement à Mouffetard et à ses demis à 4,50, la Butte aux Cailles reste “authentique”, au sens où, justement, la majorité des gens qui y vivent y sont depuis plusieurs dizaines d’années (le rapport commence à évoluer et s’inversera sous peu, mais c’est pas encore trop flagrant) et justement bis, je trouve que ça se voit par ce côté “bars de jeunes un peu nazbrocks” qui montre que c’est pas *si* travaillé que ça dans le rétro; et justement que ce n’est pas si self-conscious (pas autant que Mouffetard ou même que Montmartre). Ca préserve un peu le truc.

      Et attention avec les concepts de pré- et post-ironisme, héhé: post-ironique, c’est précisément cesser de rechercher la mise à distance perpétuelle et choisir de se vautrer dans le premier degré. Pour moi c’est un peu possible. Mais jsuis d’accord, c’est compliqué.

  5. Un seul remède pour lutter contre l’embourgeoisement du quartier: aller manger au village de la butte le plus souvent possible.

  6. C’est vrai que les quelques fois où je suis allée à la Butte aux cailles, j’ai hésité entre quartier étudiant et quartier bobo… une chose est sûre l’authentique n’est pas fait pour durer avec ces deux là.

    • Après, si c’est “authentiquement étudiant”, ça reste peut-être authentique, c’est juste qu’il faut voir ce qu’on entend avec ce terme et si on y trouve son compte ^^

    • Cette personne confond cupcakes et macarons (cf. Sofia Coppola). Et pense que les hipsters se repaissent de cupcakes. Woké. Sinon, ça sent bon la resucée des critiques outre-atlantiques contre les hipsters, ce qui fait totalement sens puisque ce qu’on appelle les hipsters en France n’est jamais qu’une resucée mal-digérée de ce qu’ils sont outre-Atlantique. Mais ça rate toujours l’essentiel: être hipster ne peut être qu’une réalité nord-américaine, puisque ça se bâtit sur un rejet de la culture mainstream US au profit d’un faux fantasme de l’Europe.

      En revanche, blague à part, je trouve certaines analyses assez justes, surtout la section “Appropriation et expropriation des classes populaires” qui est spot-on.

  7. Je viens d’engloutir la série “How to make it in America”….WoW!
    j’ai ri car dans un sous-titre, la traduction de “hipsters” est en français: “pute a franges” (avant dernier épisode de la saison 2 lors de la soirée à Bushwick, Brooklyn)

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