Blowing In The Wind.

Où il sera en fait question d’un comics, car si vous m’aviez vue, ce matin, dans ma lecture frénétique !

Bon, à vrai dire, c’était une certaine vision de l’enfer, un enfer pavé de mouchoirs sales et d’ibuprofène, et chauffé par une bouillotte. De plus, lire sur un iPad n’a rien de la superbe romantique de la janeite qui, lovée dans un édredon fleuri, macule des pages en mauvais papier de ses larmes émues.

Pourtant, j’étais si captivée par Ex Machina, cette nouvelle étape dans mon éveil au monde des comics. C’était ce moment génial où, à l’issue d’une assez longue lecture, la récompense vient, même pas tant par la résolution du mystère que par la collision dans sa tête d’idées qu’on trouve géniales et auxquelles on n’arrivera jamais à rendre justice. Sort of. Par exemple, ce matin, je navigais entre Bob Dylan, Dick Cheney, Whitney Houston (ohnoes), Spider-man, Nicolas Sarkozy et Barack Obama. Et mon arrivée à New York à l’automne 2008.

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Ex Machina revient sur un des schémas classiques liés au thème du super-héros : a-t-on besoin d’un héros qui échappe à l’humanité, mais aussi à la société civile, ou bien le vrai héroïsme doit-il venir de l’intérieur de celle-ci ?

En 50+ numéros, Brian K. Vaughan (auteur de Y, The Last Man) s’amuse avec le personnage Mitch Hundred, maire fictif de New York après Rudy Giuliani, entre 2001 et 2005. Hundred doit en effet choisir entre utiliser un weird superpouvoir (il parle aux téléphones portables et aux micro-ondes) pour faire respecter l’ordre en tant que vigilante, ou bien décider que le vrai héroïsme se trouve dans le fait d’agir à visage découvert et d’assumer ses choix et ses responsabilités – en devenant maire de New York, donc (pas de quoi s’angoisser, pourtant, a-t-il seulement vu Barry Botswick à l’œuvre dans Spin City ?), un maire indépendant, hors-parti et redéfinissant le jeu politique (rien que ça… mais then again, he’s a superhero).

On est moins dans le “coup de pied dans les dents” (big-up à mon mentor dans ce domaine), plus dans le comic-book intello, vu comme ça. Parce qu’on en vient très vite à poser ce genre de débat passionnant sur le rapport individu / Etat / société civile. C’est comme si la survenue de vigilantes était là pour signaler un échec des pouvoirs publics à garantir le bien commun (la pursuit of happiness, en d’autres termes) – c’est si américain de poser le débat en ces termes… Mais si le salut vient d’une instance étrangère à la société civile, n’est-ce pas la fin de celle-ci ?

Ce filon, “BKV” l’exploite sous tous ses angles, montrant au passage qu’il a bien sagement fait ses lettres (l’alias de son héros, the Great Machine, est directement emprunté à Jefferson, il cite aussi la théorie de la vitre brisée, et j’en passe) et qu’il maîtrise son Not For Tourists Guide, édition de New York City. Sidenote: lire ce comics est bien plus efficace que les deux derniers Sex and the City réunis pour avoir de bonnes adresses dans cette ville. Bien sûr, vu la charge politique du sujet, on navigue constamment entre eaux démocrates et républicaines, mais plus en raconter ferait perdre de vue ce que ce comics dit de la culture populaire, la politique et l’après 2001.

Tout ensemble.

Alors que l’écriture de Vaughan est reconnaissable à des kilomètres pour son côté ultra-référencé et un brin poseur, il se paie la coquetterie d’un petit épisode “meta” sur le thème “on dirait que des auteurs de comic-books voudraient mettre en scène et romancer la vie du maire de New York et on dirait que l’un des auteurs serait Brian K. Vaughan.”

Limite lourd et franchement masturbatoire. A priori on est en plein dans le gimmick typique de la pop culture de ce début de siècle, à savoir la mise à distance de l’objet, pour le “lol” et le côté smartass. A la fois, BKV se met en scène en tant que deus ex machina (get it?) face à sa création, à la fois, il se tourne en dérision et rien que pour ça, c’est marrant. Pourtant, le contexte du 11 septembre vient transformer tout ça. Quand, par un tour de passe-passe scénaristique, le héros de la bd demande à une version fictive de l’auteur de la bd de raconter son 11 Septembre 2001 intervient ce récit hallucinant, frontalement à la première personne, quasi-“breaking the 4th wall“, de la journée la plus traumatisante de la vie d’un new-yorkais. Au beau milieu d’un comic-book parlant de super-héros et de politique, c’est une des choses les plus intimistes que j’aie lues récemment (et sans doute une des plus bouleversantes). Quand t’as vécu à New York, ce récit, tu l’as déjà eu une paire de fois, d’une manière ou d’une autre, un peu à mi-chemin entre la non-envie d’en parler et le besoin d’exorciser.

Sauf qu’ici, celui qui exorcise le fait à la face du monde et transforme son traumatisme en objet de pop culture. En mettant cet attentat et un New York bien réel au coeur de son histoire, la relecture politique / héroïsme par Vaughan prend toute sa dimension.

En l’occurrence, la dimension prise, c’est que, depuis quelques années, on a besoin de héros, à tel point qu’on se croirait dans une chanson de Bonnie Tyler. Mais de vrais héros, pas ceux qui ont une carte de membre chez Forbidden Planet ou tout autre boutique de comics. Je me rappelle, quand Spider-man 3 était sorti, la mise en scène dans New York était telle qu’on pouvait s’attendre à voir l’homme-araignée débarquer à tout moment sur Union Square. Et surtout, avez-vous remarqué à quel point le concept-même de super-héros est requestionné avec insistance, ces dix dernières années ? Parfois, c’est choupi (dans le Spider-man 2 de Raimi, ou dans Kick-Ass), parfois, c’est plus sombre et surtout très politique. Ainsi, on retrouve ce même type d’hésitation à la Ex Machina dans l’adaptation ciné de Batman par Nolan. Dans The Dark Knight, Bruce Wayne est prêt à mettre la clé sous la porte de sa Batcave pour soutenir l’enthousiasme politique de Harvey Dent (avant son accident Double-Face, that is) et pose ainsi la question : qu’est-ce qui est meilleur pour Gotham City, qu’est-ce qui fera vraiment la différence ? Un justicier masqué, ou un personnage public qui donne envie à chacun de se surpasser ?

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Je sais pas si c’est un effet du 11 septembre, un bon vieux millénarisme des familles ou quelque autre cause, mais je me demande où tout cela a pu si mal tourner pour qu’on en vienne à rêver d’un héros, ou du moins d’un homme providentiel. Aux Etats-Unis, mais aussi en France, nos élections de 2007-2008 étaient fichtrement mystiques, entre le besoin d’un homme providentiel et la peur d’une catastrophe absolue si le candidat opposé passait. Y a que la pop culture pour transfigurer ce genre d’angoisse en quelque chose de cool (sinon, c’est borderline inquiétant, évidemment). Pour la première fois, ce matin, j’ai compris qu’on avait changé de millénaire, et que c’était foutrement décevant. Puisque de ce côté-ci de l’Atlantique comme de l’autre, d’homme providentiel il n’y a pas eu, comment se relève-t-on d’une pareille déconvenue dans la vraie vie ?

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Mais not to worry, mon prochain post sera soit sur de la pop coréenne, soit un teen show US, donc on reviendra dans les sentiers battus de cette page web.

Cheers :)

4 thoughts on “Blowing In The Wind.

  1. ça donne envie. en plus ça rentre dans le programme de l’ens en philosophie – la politique, le droit, ahah. mais, n’est ce pas tina turner – plutôt que bonnie tyler – qui a besoin d’un héros ?

    • Ah non, Tina “n’a pas besoin d’un autre héros”. Bonnie a besoin d’un héros jusqu’au bout de la nuit, qui soit fort, rapide et qui ait émergé victorieux d’un combat :-)


      (“where have the good men gone and where are all the gods?”)

      Franchement, ça fait un killer-example à l’ENS si c’est utilisé correctement, ça se démarque et ça gagne efficacement l’attention d’un correcteur, je pense (mais si c’est fait proprement, pas comme dans ce post, quoi^^).

  2. Je ne sais pas si je me mettrai un jour à la BD / aux comics. Jusque là, rien n’a su servir de déclencheur, chez moi… Il paraît que je rate quelque chose, mais rien à faire, je n’ai pas trouvé le séducteur adéquat, probablement.

    • Ca dépend. J’avoue que le fait d’aimer la culture et l’histoire des Etats-Unis et la pop culture en général y sont pour beaucoup pour moi. Ca et un ami de bon conseil, bien évidemment, oui. Mais il y a un milliard de façons d’apprécier la chose. Toi qui aimes la pop, je ne sais pas si tu es branché Buffy, par exemple, mais si c’est le cas, les choses écrites pas Joss Whedon (Astonishing X-Men) et les comics de Brian K. Vaughan pourraient certainement te plaire.

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