Sexe faible 101.

Plus jamais je vais au bal des pompiers du 14 juillet.

Je le pensais déjà un peu en quittant cette caserne du 15e, l’autre soir, après avoir dû rendre la politesse à des militaires regrettant l’Algérie française qui versaient du champagne dans mon verre. Le côté positif, c’est qu’avec Adeline, on y allait pour danser comme dans les soirées de fin d’année du collège et qu’on était foutrement joviales. Mais dites-vous bien que quand je me suis faite assaillir par deux gus malfaisants sur le chemin du retour, mon rapport au 14-Juillet s’est sévèrement dégradé.

Alors c’est comme ça que ça commence, quand on se fait violer, je me suis dit à ce moment. Pensez donc ! Déjà que j’ai tendance à surréagir un brin dès qu’il m’arrive une tuile, imaginez, quand il est question de se débattre au sol, étranglée, maîtrisée, mise à terre par deux gars, et qu’à ce moment, c’est même pas qu’il s’agit de protéger ma vertu, c’est surtout qu’il s’agit de pouvoir respirer de nouveau. Je vous jure que l’expression “sacrifier l’important à l’urgent” a brusquement changé de sens ce 15 juillet 2012. En définitive, on était peut-être pas tout à fait dans un scénario Special Victims Unit et la suite des événements, c’est que la pression s’est relâchée d’un coup quand j’ai senti mon sac être arraché, que j’ai retrouvé mon souffle, hurlant à en faire blêmir de jalousie Jamie Lee Curtis, et qu’un gardien de nuit armé d’une batte de base-ball est venu m’aider à me relever et appeler la police.

Funny thing is : mon attaque est classifiée comme agression sexuelle à cause de 2-3 gestes déplacés, dont même moi je suis prête à croire qu’ils étaient plus ou moins “involontaires” (avec autant de guillemets que vous voudrez) – hardly matière à agiter Christopher Meloni et Mariska Hargitay, donc. Mais pour moi, le vrai caractère sexuel de cette agression réside pas dans une main placée un peu haut entre mes jambes ; c’est que deux mecs n’ont pas apprécié qu’une femme rentrant chez elle ne leur réponde pas, et qu’ils se sont dit qu’il était facile, au passage, de lui rappeler qui était le boss. Il était simple de m’arracher mon sac et de se casser en courant, mais pourquoi, au passage, se priver de me faire savoir qui avait pouvoir de vie et de mort sur moi, qui pouvait me mettre à genoux, à terre, prendre le contrôle sur une fonction vitale et me faire comprendre que tellement plus aurait pu se passer s’ils en avaient décidé ainsi. Se faire attaquer la nuit est indéniablement traumatisant pour les hommes autant que pour les femmes (sans compter la source d’emmerdes administratives sans fin qui s’ensuit). Mais seules les femmes, il me semble, ont ce privilège inouï de se faire rappeler de manière brute et primaire qu’elles sont de l’autre côté de la barrière de la domination (construction sociale ou pas, à un moment donné, ça ne compte plus vraiment).

Vous en faites ce que vous voulez, mais ça me glace le sang, et c’est ce qui risque de rendre le traumatisme de cette agression durable.