Je me rappelle, y a quelques années, quand j’étais revenue de NYC pour Noël, j’avais trop rien trouvé à me mettre sous la dent dans les kiosques Hudson News de l’aéroport, et j’avais préféré jeter mon dévolu sur un vague magazine complotiste à base de mystères inexpliqués du monde qui nous entoure, géoglyphes nazca, assassins révélés de John Kennedy et visages de fantômes qui apparaissent sur la neige du téléviseur quand on zappe. Si vous ne voyez absolument pas de quoi je parle, c’est que votre esprit cartésien n’a jamais prêté oreille à ce genre de boniment. Ce n’est pas mon cas.
J’ai l’impression que tout ça est né quelque part entre mes flipettes à 8 ans en regardant Mystères (oh que oui) et mon engouement pour X-Files, quand j’en avais 12. A l’époque, je regardais ébahie comment on avait détecté un visage sur Mars, j’en dormais pas de la nuit, et une pote de la tante de Marie (la pouffe sympa du collège) avait parlé avec un routier qui avait eu la vie sauvée par une vision de la Dame en Blanc sur le bord de la route, en Corse-ou-un-truc-comme-ça. J’ai dormi la lumière allumée jusqu’à mes 13 ans.
Seulement, le magazine acheté à Hudson News, je l’ai tout juste survolé, l’excitation était passée. On a beau grandir, quand on cesse de croire au grand méchant loup, il reste toujours les légendes urbaines pour alimenter notre fascination amusée et apeurée pour l’extraordinaire. Vers la fin des années 90, pourtant, tout ca a commencé à se faisander gentiment, quand Rebecca Gayheart et les cheveux peroxydés de Joshua Jackson avaient failli pourrir pour de bon mon groove (quoi, t’as pas vu Urban Legend ?). Maintenant des robots vont sur Mars, les glyphes de Nazca sont plus ou moins expliqués, les archives des années 60 seront bientôt accessibles et depuis, j’ai besoin d’un masque pour dormir, sans quoi le principe de réalité est trop présent dans mes nuits (namely: la lumière, oui, bah).
On vieillit, on vieillit, et l’air de rien, y a plus grand chose à se mettre sous la dent. La magie semble avoir disparu, mais c’est finalement des technologies que viennent les nouveaux croquemitaines. Alors Dieu merci le #bugFacebook, pour avoir fait prendre cette flamme balbutiante qu’est le spectre du rézocial-malfaisant. Je me rappelle avoir vu émerger ce spectre vers 2009, avec l’histoire de Marc L*** publiée par Le Tigre, puis à chaque fois que Facebook a changé ses CGU. Et pourtant, cette fois, tout le monde est parti sans recul critique relire ses archives de 2007 à 2009, se payant une séquence nostalgie au passage, tout excités à l’idée de tomber sur des détails croustillants concernant un tel ou un tel. Le Monde en a fait sa Une sans réel fact-checking, l’Amérique a commencé à s’inquiéter, jusqu’à ce que le soufflé retombe. Plus significatif, le fond du bug reposait sur autre chose que les habituelles mises en garde anti-Zuckerberg et sa vision élastique de la dichotomie public/privé. On nous a longtemps abreuvé d’histoires comme celle de Marc L*** dans le but pédagogique de nous inciter à plus de vigilance sur notre gestion des paramètres de ce qu’on montrait en public (et il s’avère au final que le “bug” en question n’est rien d’autre que ça: ceux qui se sont trop exposés par le passé l’ont pris en plein visage). Mais là, le storytelling initial de ce bug renvoie au privé et à l’intime, et donc à une autre forme d’angoisse, celle que j’ai quand je me change dans les cabines d’essayage d’un grand magasin ou quand je me lave dans un hôtel : et si un gus un peu sleazy avait installé une caméra et regardait tout ? La bonne vieille légende urbaine des familles revisitée à la sauce 2.0, en somme. La peur de l’exposition générée a instauré un sentiment de communauté aux usagers : la presse regorgeait de pro-tips pour se protéger, comme on aurait sans doute expliqué comment barricader efficacement ses portes en cas d’invasion barbare (ou zombie). Le gouvernement a volé à la rescousse de ses citoyens. C’était beau comme du Paul Eluard en temps de guerre. L’espace d’une demie-journée, on n’était pas encore une bande de cons infoutus de gérer un réseau public mais de pauvres ouailles, victimes d’un Deus ex-machina mystérieux et déterminé à nous nuire et seule la cohésion et l’entraide pouvaient nous protéger. Y a même une nana sur RTL qui a dit avoir trouvé la preuve des infidélités de son mari. Bitch, please.
L’angoisse de la prise de pouvoir d’une machine sur les consciences et sur l’intime, quelque part entre l’angoisse totalitaire et la magie, pour moi, c’est le signe qu’on a encore besoin de croire et de douter, même quand on pense être blasé. C’est très judéo-chrétien, dit comme ça, et pourtant c’est la meilleure nouvelle de cette journée.