Il est loin, le temps où Justin Bieber se contentait d’afficher ses idoles façon Kelly Kapowski.
Son dernier trait de génie (“hopefully, Anne Frank would have been a belieber“, GG, vraiment) m’a curieusement plongée dans un abîme de réflexion.
Toute la force du Journal d’Anne Frank vient, dans mon souvenir, du contraste entre la banalité de son propos et l’intensité dramatique de son destin, qui reste hors-texte. Sa déportation, celle de sa famille, leur mort en camp d’extermination… Tout ça n’est connu que par du travail d’archive et par les témoignages des autres, ceux qui ont survécu, Miep Gies en tête. L’entreprise mémorielle d’après-guerre a contribué à faire d’Anne Frank une des victimes les plus iconiques de l’horreur de l’occupation et du génocide, dans l’espoir d’incarner un peu des chiffres effarants. Ca a conduit des générations et des générations d’enfants à lire les pages d’un journal intime d’adolescente de 13 ans, dans mon cas avec perplexité. Je me rappelle, quand je l’ai lu, le journal : j’attendais le climax de l’arrestation, avec toute la fascination malsaine que peut exercer l’occupation sur nos générations (défaut d’éducation scolaire, d’édition ou de jeunesse, je sais pas trop). En attendant, je devais lire les considérations d’une gosse de 13 ans sur l’ennui, les copines de classe et son envie de devenir écrivaine quand elle serait grande, story of every kid’s life, quoi. A l’époque, j’avais trouvé ça décevant. Entre temps, j’ai pigé que c’est ce qui en faisait un témoignage incroyable de justesse : il n’a rien d’exceptionnel. C’est juste une môme qui préfèrerait jouer dehors que se cacher derrière une bibliothèque, une môme ordinaire à une époque qui, elle, ne l’était pas du tout, surtout pour elle.
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Le Biebs est un petit con pour beaucoup de raisons, l’egotrip en tête dans ce cas précis, et sans doute qu’il se rendait pas compte de l’imbécilité de ce qu’il disait. Pourtant, paradoxe de l’absurdité, je suis sûre qu’il a raison. Anne Frank était une adolescente ordinaire aspirant à le rester, et c’est peut-être un peu ça qui a conduit un chroniqueur de Slate à chercher, en réponse au faux pas du Biebs, qui aurait été l’idole d’une gamine en 1942. En 2013, ça signifie sûrement prendre position entre beliebers et directioners, et s’il faut ça pour qu’un môme d’aujourd’hui saisisse la portée de son destin, pourquoi pas, en fait.
Le procédé du “et si…” en histoire, on appelle ça de l’uchronie. C’est pas l’artifice le plus porteur intellectuellement, mais pédagogiquement, il faut lui reconnaître une certaine utilité.
Et je jure que je le dis sans ironie, ce serait trop peu approprié.