Le mois dernier, j’ai été utilisée par Brain comme cas d’école, exemple canonique de, je les cite, “hateuse obsessionnelle“, blase qui caractérise, selon eux, les gens qui oldent à tout va. C’est un peu rigolo, pour plusieurs raisons, parmi lesquelles (et je passe sur le postulat et la rhétorique un peu faiblarde de l’auteur de l’article) :
– je suis plus old que le old (vazy on me la fait pas, j’ai 31 ans, et environ 75 de plus à cause du poids de la Rédaction)(c’est le moment de rappeler que “older” quelqu’un, verbe transitif et rejeton typique de la novlangue anglicisée des réseaux sociaux, décrit une action qui consiste à accuser un usager desdits réseaux sociaux d’avoir partagé une information vieille comme le monde, c’est-à-dire d’environ 2 jours)
– en fait, taquinerie à part, j’ai plutôt tendance à considérer ceux qui découvrent quelque chose sur le tard comme formidablement chanceux (je repense souvent à mon état quand j’ai vu Karaté Kid pour la première fois, ou Sixteen Candles pour la deuxième)(ce qui n’est plus vraiment une découverte en soi, mais en fait si). En plus, cette posture m’arrange un peu en ce moment, puisque, Rédac aidant, je suis vraiment à la ramasse sur beaucoup de choses (même si j’ai su à temps que Selena et Justin étaient repassés à table).
Là, par exemple, je rattrape mon retard en pop music millésime 2013, grâce notamment aux bons conseils de Fun’ et de Kurt. L’un a un penchant un peu trop évident pour la scandipop, l’autre continue de défendre GaGa, les deux détestent Beyoncé, mais je les aime quand-même. Je les remercie même de m’avoir enfin donné l’occase de m’attaquer enfin à Perfume de Britney Spears et de m’être découverte un peu Mixer, bref d’avoir ressuscité ce bout de moi qui aime tant analyser la culture pop la plus cheesy et couper les cheveux en huit pour justifier mon rapport néo-sincère à celle-ci. Un truc que j’ai un peu laissé de côté quand je me suis vraiment retroussé les manches pour faire la peau à cette gueuse de thèse.
C’est d’ailleurs seulement à quelques mois de la fin que je pige le rapport fusionnel entre mon blog et ma thèse.
Au commencement était ce contrat tacite, qui construisait mon rapport à cette page : ne pas la laisser empiéter sur la thèse. Contrat qui peut sembler peu respecté, de prime abord. A une époque, je l’actualisais beaucoup plus que je ne bossais mes archives, mais il était évident que si ça n’avait pas été un blog, ça aurait été autre chose : dépression longue, poterie ou soft ball, ce que vous voulez. Bon, j’ai choisi, la culture young adult, et du coup, je suis peut-être passée à côté de l’occase d’être enfin droguée ou musclée. Mais mine de rien, avoir ce blog m’a maintenue à flot : qu’au moins si les sociétés nouvelles du XVIIe siècle et leurs systèmes de genre ne m’inspiraient pas ou m’effrayaient (l’ampleur de l’édifice intellectuel a largement de quoi terrifier), je puisse avoir un espace où déverser une logorrhée sans grand sens, sans référence, sans valise historiographique à convoquer (décomplexée, on disait, en 2007), parce que je pense même pas qu’il y ait une valise historiographique à mobiliser pour pour apprécier un unboxing My Little Box ou un dollar griffonné. Restait le plaisir d’écrire, d’autant plus jubilatoire que c’était foutraque, et que j’ai authentiquement retrouvé dans les premières semaines de Rédaction, il y a pile un an. Les idées et la rhétorique s’amoncelaient si rapidement dans ma tête que j’étranglais des envies de pleurer, non pas d’angoisse, mais de pure excitation. Quand la perspective d’écrire une sous-partie sur la démographie des Provinces-Unies pendant l’Âge d’Or te fait te sentir comme une jeune pucelle à l’entrée de Bercy le jour d’un concert de One Direction, tu te dis que tu as raison de faire ce que tu fais. Et qu’enfin tu peux dire, sans trop de regret, au blog qui t’a aidé, “à la revoyure, vieux frère, quand je serai de l’autre côté.”
Du moment où j’ai vraiment cru en ma thèse, un peu tard, il est vrai, c’est naturellement que la raison d’être de ce blog n’a plus été aussi évidente. Or, comme expliqué précédemment, j’ai désormais 3 à 6 mois pour rattraper tout mon retard et BOUCLER. Comme me l’a dit Marieke, celle qu’est passée “de l’autre côté” l’an passé, ça pourrait être une perspective excitante et galvanisante comme jamais. The end is nigh, après tout, ça devrait me faire plaisir.
Le souci, c’est que j’ai plutôt l’impression que je viens de poser le pied en Mordor (du genre pas trop loin de Cirith Ungol, là où crèche l’araignée géante), et j’ai la flippe comme jamais. D’autant plus la flippe que ce sentiment est en fait assez nouveau pour moi. Pendant mes études, j’ai toujours été sauvée par la conviction intime que, si je suis loin d’être plus intelligente que la norme, je suis pas plus idiote non plus. Or niveau normal d’intelligence + formation ad hoc = sky’s the limit, c’est relativement mathématique et surtout très rassurant. Y a que pour passer le permis de conduire que ça n’a pas suffi.
Enfin jusqu’ici.
Car si avoir un blog n’est pas directement responsable de ces fins de soirées où j’insomniais, au 264 South 21st Street, à Philadelphie, en me posant trop de questions sur le sens du regard d’Audrina dans la saison 3 de The Hills (il n’en a aucun), je lisais pas Elias, ni Stoler, ni Walsh, ni tous les autres, pas plus que je ne finissais les bases de données qui m’auraient permis de gagner un temps précieux. Me voilà PROPRE, maintenant, à devoir condenser environ 3 ans de travail en 3 à 6 mois). Me voici prise de vertiges, de nausées, de blocages d’écriture (j’inclus pas les insomnies, parce que ça fait bien plus longtemps que ça) et je crois que c’est justement parce que je comprends enfin que, depuis le début, je me sens pas du tout à la hauteur.
Alors voilà, dans 325 jours, à savoir 1 an moins le mois et demi qui précède Noël 2014, je serai Docteure, à ce qu’on m’a dit. J’en crois pas un traitre mot, mais on va y travailler.