Souki.

“Vous m’avez vue parler, hier au concert, Madame? J’osais pas trop, j’aime pas parler…” Says who? Une gamine que je sépare de sa voisine à chaque cours, qui l’ouvre quand elle veut, “gaie comme un pinson”, pour reprendre les termes du prof d’Allemand dans La Boum.

“C’est passé vite pour vous la troisième, Madame ? Nan mais parce que nous on trouve ça looooong…” dit-elle en gloussant avec ses copines de gang de radiateur, collées contre la chaleur pour s’échanger des pro-tips de maquillage pendant la récré. “Vous avez dû drôlement aimer ça, le collège, Madame, pour y être revenue. Moi j’aimerais bien faire ça.” Ses copines se foutent ouvertement de sa tentative de lèche si mal branlée. “Nan mais arrêtez, mais c’est vrai, j’aime bien ça : pour distribuer les feuilles, effacer le tableau, tout ça… Et puis crier sur les élèves et m’énerver, ça a l’air trop bien.”

Le boulot vu dans les yeux d’une future Cher Horowitz de banlieue, cœur avec le stylo rouge et sourire amusé.

You can’t be no one else.

L’autre jour, en regardant un re-run des documentaires Arte sur les années 90, j’ai appris que Live Forever d’Oasis était un genre de fuck off subliminal au grunge et aux pulsions suicidaires de Cobain.

Ca m’a rappelé ce calendrier Nirvana que j’avais acheté quand j’avais 13 ans, c’était au magasin de disques principal de Wiesbaden pendant le voyage de classe en Allemagne, les corres’ nous avaient emmenées au centre commercial avant qu’on aille se gaver de glaces dégueu parfumées aux colorants industriels. Le lendemain, on irait visiter Mayence et j’essaierais de faire des selfies ratés parce que j’étais fière d’arborer une parka Naf Naf bleu foncé mais j’osais pas demander aux copines de me prendre en photo. J’y connaissais pas grand-chose à l’époque, mais je me disais que ce calendrier était une manière comme une autre de me faire bien voir – essentiellement de l’ado pénible qui préparait son bac dans la chambre juste à côté de la mienne, à la maison – attitude symptomatique de meuf qui écoutait Ace of Base trois semaines plus tôt. Et puis une photo sur deux exhibant la gueule d’ange de Kurt, envie de mourir ou pas, ça me convenait. Avec le recul, je comprends bien que c’est à cause de ce genre de produit dérivé qu’il s’était défoncé le cerveau à coup de carabine.

En fin d’année, le “I Hate Myself & Want to Die” de décembre arrivait à péremption, alors je l’ai remplacé par un calendrier Oasis acheté au Soho du centre commercial Vélizy II. Je me pensais edgy et puis, pour une fois, j’avais acheté Morning Glory à sa sortie (et volé Definitely Maybe à mon frère l’année d’avant)(tant pis pour lui, c’est lui qui avait commencé) [EDIT de 19h27 : je viens de chercher, il est introuvable, ce salaud m’a re-volé Definitely Maybe !]. Cette fois-ci, il n’était donc pas question de posture. Et puis je commençais à écouter Ouï FM, je trouvais donc tout ça super cohérent avec moi-même et avec le zeitgeist. Je m’suis trouvée, je pensais (nonobstant le Soho de Vélizy II). Aux oubliettes, les soirées de 5ème passées à veiller devant Dance Machine. Bien entendu, la posture n’était pas si loin et reviendrait deux ans plus tard quand, à la faveur d’un Be Here Now foirax, Blur gagnerait la guerre et que je ferais semblant d’avoir été team Damon toute ma vie, même si en vrai, j’ai toujours ce demi-sourire au coin des lèvres quand j’entends Supersonic et Liam restera toujours mon demi-dieu prolo, pour l’amour de mes 13 ans.

Rétrospectivement, faire se succéder un calendrier Nirvana et un calendrier Oasis sur un mur de chambre d’adolescente au papier peint rose rayé est un bijou de sacrilèges successifs. C’est aussi un parfait résumé conjoncturel des années 90.

1995

I Saw the Best Minds of my Generation

Pour ceux qui savent pas, dans l’onglet “à propos” de ce blog, il est précisé que tout ce que j’y écris est “partiel, partial et résolument péremptoire.” Ça reste vrai, surtout que je suis en train de réorganiser un chapitre de 60 pages, je vis le mythe de Sysyphe de l’intérieur avé l’envie de me suicider au yaourt périmé.

M’étant trouvé fort agacée en lisant l’article de Slate sur la génération “twee” (sans offense, hein, je me délecte de leur couverture du Mondial, je les RT une fois sur 2 avec mon autre compte twitter et plusieurs de leurs contributeurs sont des copains que j’♥♥♥). Mais là, serious case of missing the point. Pour ceux qui ne fréquentent ni les réseaux sociaux, ni les pure-players, en gros, l’article chronique l’émergence d’un nouveau momentum culturel, moins ironique que la culture hipster (proposition fort discutable) mais venu comme lui des pays anglo-saxons et qué s’appelorio “twee.” Pour l’anecdote personnelle, “twee,” c’est le terme auquel Clément avait recours circa 2009 pour m’envoyer chier quand je me mettais trop à minauder et à me comporter comme une gamine à 27 ans. Je dis pas ça pour la posture “je connaissais le terme avant qu’il soit cool,” mais pour dire, au contraire, que le terme était déjà largement popularisé à cette époque. Pas en France, certes, mais le phénomène culturel auquel il renvoie ne me semble pas nouveau. Par ailleurs, j’ai un problème de fond avec un article qui cherche à analyser un mouvement culturel néo-sincère sans jamais en prononcer le nom.

En tentant de mettre de l’ordre dans ma tête, je vous présente :

Une Anthologie (partielle, partiale, etc.) des mouvements contre-culturels régressifs des années 1980 à nos jours.

New Sincerity – mouvement critique né dans la deuxième moitié des années 1980 (associé à d’autres, comme le kitsch ou le reconstructivisme, mais ça nous éloigne du sujet, et ça montre surtout que les Américains en sont encore un peu trop au stade anal de Foucault/Derrida). Au début des années 2000, le terme a refait surface pour incarner, oui, un mouvement contre-culturel vaguement dérivé de la culture hipster. L’idée de départ était le refus du cynisme ou du sarcasme. Cette fois-ci, la néo-sincérité était, en tant que contre-culture, associée à son double maléfique, la “Post Ironie.” On parle de choses ridicules et/ou rigolotes, mais on est sincère à leur sujet, explique Jesse Thorn, le présentateur radio qui a contribué à redonner de la popularité à la néo-sincérité dans les années 2000. Je me rappelle avoir vu une projection néo-sincère et post-ironique de Jennifer’s Body dans le Castro en juin 2010, ça a transformé mon approche du cinéma populaire. Et oui, j’aime beaucoup Jennifer’s Body, mais ce n’est pas vraiment la question.

– Grup/Yupster – mot-valise utilisé aux débuts du momentum hipster (notamment dans le NY Mag), pour se moquer gentiment des hipsters friqués, qui érigeaient les référents twee/régressifs en nouvelle forme de bourgeoisie. Et les Bobos parisiens, dans tout ça ? Vraie question.

Hipster – qui n’est pas du tout un terme ni un phéonomène récent, puisque ça remonte aux années 1940, où c’était associé au jazz et au bebop. Les hipsters du XXe et du XXIe siècle ont au moins en commun, en apparence, l’ironie et le rapport à la pauvreté plus ou moins affichée (pas forcément avérée). Ginsberg voyait des hipsters à gueule d’ange dans Howl mais c’est depuis surtout devenu un vivier inépuisable d’analyse culturelle du New York Times et du NY Mag et consorts (voire de ce blog à son époque la plus faste).

Méta-Modernisme – cf. supra Derrida/Foucault/stade anal. Au départ, le concept se voulait un dialogue intellectuel avec le post-modernisme (en substituant à “post” le préfixe “meta” qui, en grec, renvoie à tout ce qui se trouve “au-dessus de” quelque chose, donc par association, implique de la réflexivité) ; depuis, on retient surtout les punchlines “so meta” de Community et la section “MetAmericana” proposée par Seth Abramson dans IndieWire (exemple de critique métamoderne du Lego Movie)

– Post-Ironie – cf. supra.

Twee (qu’on traduirait le plus efficacement par “adulescent”) – au départ, un néologisme apparu au début des années 2000 pour désigner l’attitude cucul-régressive d’une partie des jeunes adultes un peu trop #problèmesderiches de l’époque. Le terme “twee,” comme hipster, est péjoratif et s’inscrit dans une logique néo-sincère/post-ironique. À vrai dire, ça existe depuis pas mal de temps en France, ça s’appelle une blogueuse mode.

Normcore – pas grand-chose à ajouter par rapport à l’article de départ du New York Times, daté du 26 février dernier et qui érige le désir de se fondre dans la masse en parti-pris culturel fort – sans être forcément convaincant, d’ailleurs. Déconstruction du déconstructionnisme, retour à la case départ, culturellement, on a plus honte d’aimer Lara Fabian. C’est surtout (à mon sens) un des premiers vrais actes de décès de la culture hispter telle qu’elle a monopolisé ce début de siècle.

Tous ces mouvements culturels portant la culture popcorn (souvent régressive) au pinacle sont un phénomène récent, remontant aux années 1980. Alors soit je date ça des années 1980 parce que c’est ma génération, soit c’est parce que cette décennie correspond à l’épanouissement de l’adolescence comme objet culturel. C’est aussi, d’un point de vue plus intellectuel, le momentum post-moderne et le début de l’histoire d’amour inébranlable entre l’Amérique et Jacques Derrida. Au départ, je voulais tout classer chronologiquement, mais à vrai dire, c’est impossible. À part des origines néo-sincères et l’invention plus récente de “normcore”, tous ces termes sont des facettes plus ou moins concomitantes d’un vaste objet contre-culturel jouant de la référence pop à outrance, dans un jeu pas toujours très subtil entre sincérité et sarcasme.

“C’est tout pour moi, je pose ça là.” Cheers.

Lemme tell you sumfin’

Jeu : si l’on remplace “game” et “football” par “PhD“, “dissertation” ou “writing” dans cette vidéo, ça fait de Coach Taylor un de mes remerciements de thèse évidents.

 

A ce stade, il est sans doute plus fier de moi que je ne le suis.

 

Clear eyes, full hearts

Clear eyes, full hearts

Clear eyes, full hearts… can’t lose.

Clear eyes, full hearts, CAN’T LOSE.

CLEAR EYES, FULL HEARTS, CAN’T LOSE.

 

Let’s go write some pages.