Buddy Movies

Laissez moi vous donner un conseil : si vous devez choisir de faire une rétrospective d’auteur en plein été, quand vous prévoyez de regarder les films le bidon plein de rosé, la tête assez pleine de l’indolence de vos journées de vacances, Spielberg est votre homme. Tout simplement parce que Spielberg est le Saint-Père des blockbusters estivaux, quand cette notion n’était pas chargée de condescendance cynique.

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J’avais lu que Spielberg a failli refuser de faire les Dents de la mer de peur d’être labélisé “truck & shark director,” j’espère que depuis il s’est rendu compte que c’était la meilleure décision de sa carrière. On a donc enchaîné : Les Dents de la mer, Rencontres du troisième type, 1941, Les Aventuriers de l’Arche perdue, E.T., La Quatrième dimension, Indiana Jones et le Temple Maudit. Spielberg avait peur d’être labélisé truck & shark director en début de carrière, puis en 10 ans, il a accumulé une filmographie incarnée par le plaisir pris à amuser la galerie, les collaborations, les winks, easter eggs, cris Willem, exercices de style. Une filmographie entre potes, avec un acteur fétiche, Richard Dreyfus, les collab’ de copains, Lucas en tête, ou encore Zemeckis et Dante, les petits nouveaux, avec plus ou moins de bonheur (nan parce que son court dans La Quatrième dimension *gêne*).

A force de gros succès, Spielberg s’était fait un nom, ce que les Américains appellent un “household name” une expression que j’aime beaucoup pour ce que son sens désuéto-patriarcal véhicule.  Le “bon père de famille” de sa filmographie (ça tombe bien, le terme est d’actualité), un mâle alpha du ciné.

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Puis hier, on a regardé La Couleur pourpre.

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Adaptation de Pulitzer, révélation de Whoopi Goldberg, production Quincy Jones (qui fait la musique, évidemment), le pathos du Sud afro-américain en étendard. C’est un peu comme si, comme quand, en quittant le collège, tu ranges tes pogs pour te mettre à jouer au tarot dans la salle de permanence du lycée parce que maintenant, on est *grands*, Spielberg avait décidé de laisser de côté sa bande de potes pour se lancer dans des projets “sérieux. “. D’ailleurs, je crois qu’il le dit lui-même : il a accepté de faire le film pour se détacher de cette image d’amuseur pour enfants, dans l’espoir d’être pris au sérieux, La Couleur pourpre ouvrant le bal de son Empire du Soleil, de Schindler, Amistad, Soldat Ryan et autres Munich (affaires à suivre, j’en ai vu 2 sur 5). C’est d’ailleurs le moment où la durée de ses films s’allonge, et plus le film est estampillé “sérieux”, plus il a de chances d’excéder les 2h30 (dommage pour tout ce rosé ingurgité avant d’appuyer sur play).

C’est un pari gagné à l’époque, puisque le film a enchaîné les nominations et autres accolades critiques. Reste que ça m’a fait un effet de pathos-porn prélude à la carrière de Lee Daniels (le gus de Precious et The Butler)(y a même Oprah qui joue dans le film, c’est dire), dans ce que l’Amérique sait faire de mieux pour se laver la conscience après deux siècles d’esclavage et un de plus de ségrégation, et comme c’était un peu encore un coup d’essai dans ce registre, on sent qu’il était pas en pleine possession de ses moyens. Ce qui m’a vraiment agacée, finalement, c’est le postulat interne qui voudrait que les larmes de Celie valent plus que celles d’Elliott en termes de prise au sérieux. Or, si Spielberg filme Whoopi, il ne comprendra jamais les larmes de Celie* comme il a su montrer celles d’Elliott, et je suis contre cette mise dos-à-dos de base du cinéma d’entertainment et du cinéma “”””sérieux””””. J’ai pas été follement emballée par la Couleur pourpre, mais je crois que j’en aime encore moins ce film dans ce qu’il recouvre de déni de gravité ou d’authenticité à ces divertissements géniaux qui ont changé la face du cinéma.

☛ Précédemment dans la “RétroSpielberg” : Amblin, Duel, Sugarland Express et E.T.

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*preuve ultime que Spielberg était pas 100% dans sa zone de confort, son incapacité à gérer la love story de Celie et donc à aller jusqu’au bout de l’empathie que son histoire aurait pu susciter.

“I Can’t Feel Anything Anymore.”

J’ai toujours pensé que E.T. me flanquait la chiale parce que c’est un extra-terrestre mignon (enfin moche, mais attendrissant) et que c’est plein de bons sentiments dégoulinants. En le revoyant hier, j’ai eu l’épiphanie la moins originale du monde, mais ça m’a mis dans cet état de tristesse si infinie que ça en devient super chouette – je sais, c’est difficile à décrire. Ça peut paraître absurde de s’en rendre compte si tard, mais je pense pas que le film m’aurait autant touchée en plein cœur si j’avais pas été une petite fille de 6-7 ans un peu trop sage pour ne pas être introvertie, prise entre une mère encaissant difficilement son divorce et un grand frère un peu trop lucide pour ne pas être vénère en permanence. Dans ces cas-là, t’as beau savoir que ces gens t’aiment, tu te sens forcément très seul et un peu à l’abandon à force de ne vouloir contrarier personne, parce que les autres en bavent plus que toi.

Le père d’Elliot détestait le Mexique, le mien est allé en vacances à Maurice avec sa zouz alors que « c’est pas son genre ». Pendant ce temps-là, je m’inventais des amis imaginaires dans ma chambre, c’était plus simple à gérer qu’aller jouer dehors avec les autres, et pour moi aussi évidemment, tôt ou tard, la NASA ou Interpol ou les deux venaient foutre la merde mais je savais qu’entre moi et mes amis imaginaires, c’était pour la vie. Alors E.T. est un extra-terrestre mignon-enfin-attendrissant, et je suis une putain d’Elliot, et on est sans doute une belle génération d’Elliots à famille monoparentale straight outta the 80s, et bon sang, merci d’avoir rendu ça si beau.

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☛ Précédemment dans la “RétroSpielberg” : Amblin, Duel et Sugarland Express.

The Roadrunners.

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The Sugarland Express (1974), starring le blond californien et les yeux de biche sublimes de Goldie Hawn à son zénith.

☛ Précédemment dans la “RétroSpielberg” : Amblin et Duel.

Elle demande pas à son mari s’il préfère ses seins ou la pointe de ses seins, mais elle lui demande de s’enfuir de sa prison texane avec elle pour retrouver un fils qui leur a été retiré. Des parents puérils qui arrivent à transformer une cavale en jeu d’enfant, en quelque sorte. Ah oui, la route, la famille, l’Amérique profonde, la première collab’ avec John Williams, “tout y est”, dirait un exégète de l’œuvre de Spielberg un peu trop porté sur la téléologie – et forcément c’est tentant. Après tout, Lou Jean collectionne les coupons de station-service en se gavant de nuggets de poulet, et elle et Clovis deviennent des genre d’idoles locales, juste parce qu’ils veulent réunir leur famille, tant pis s’ils ont pris un flic en otage pour y parvenir. Cela dit, je crois qu’après ces trois premiers films, je regarderai plus les scènes de bagnole made in Spielberg de la même façon (je pense particulièrement à celles de La guerre des mondes).

Le ton décalé du film “adapté d’une histoire vraie” peut sembler facile avec le recul, mais s’amuser des travers de la culture et de la société américaines tout en gardant une réelle tendresse pour celles-ci, c’est un parti-pris finalement assez osé – et je crois pas que Spielberg l’ait tenu avec une telle radicalité par la suite, réfugié qu’il était dans la mise en opposition enfance / âge adulte (mais ça, les prochaines semaines me le diront).

Point-bonus pour une scène où Clovis et Lou Jean regardent en loucedé un épisode de Bip Bip et le Coyote et Clovis, avec une insouciance folle, décide de remplacer le son absent par ses propres bruitages, avant de prendre conscience de la gravité de leur situation. Transformer un road-movie de fugitifs en comédie bon enfant, fallait oser. Restaurer de la mélancolie et de l’angoisse par le biais d’un cartoon, fallait encore plus oser et c’est magnifique.

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☛ La prochaine fois, on regardera Les dents de la mer, on quittera les routes de l’ouest, mais on aura besoin d’un plus gros bateau.

American Masculinity

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Forcément, il s’appelle “Mann”, ce mec qui conduit une bagnole d’Américain moyen et qui quitte un domicile familial où Madame lui a reproché de pas avoir eu les couilles de la défendre quand une connaissance mutuelle lui a fait du gringue en soirée. Et puis il s’appelle aussi David, parce que David contre Goliath, et puis il conduit une Valiant, et puis le film s’appelle Duel. Une exposition un peu longue en forme d’émission de radio sur une longue route du grand ouest des États-Unis permet de piger un des enjeux forts du film. C’est le duel entre celui qui sera le plus fort des deux, de David Mann ou du camionneur fou, mais aussi le duel entre les deux David Mann – le bonhomme pépère qui va à son rendez-vous de VRP vs. celui qui doit être un homme, un vrai, comme ceux que vend la culture américaine depuis l’époque de la conquête de l’ouest (jusqu’à Playboy, dont est issue la nouvelle qui a servi de base à ce premier long de Spielberg sorti en salles). C’est pas toujours très subtil, mais on s’en fout : à l’époque où le rêve américain est motorisé, Spielberg le transforme en cauchemar.

Reste que j’aurais bien aimé découvrir Duel à la télé en 71 quand, les scènes bavardes en moins, le film se résumait encore plus à une course poursuite entre un camion et une bagnole dans le désert californien.

Me & Bobby McGee, le film.

Je m’étais toujours demandé, sans vraiment le faire, ce que regarder la filmographie d’un auteur in extenso, dans l’ordre et dans un temps relativement circonscrit, m’apporterait.

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Surtout quand ladite filmographie fait 35+ films, qu’elle commence façon road-movie du grenier et qu’elle finit en blockbusters parmi les plus chers de l’histoire du cinéma. Alors, est-ce que ça change l’appréciation d’un film trop connu depuis l’enfance ? est-ce qu’on prend plaisir à découvrir d’autres films plus mineurs ? est-ce que ça transforme la perception d’une œuvre dans son ensemble ?

On a donc commencé avec Amblin’, qui est un court de 1968, qui est pas tout à fait le tout premier travail de Spielberg, mais qui est aussi à peu près accessible. Et puis “this is the first movie that got me into the movies. […] This movie is very dear to my heart.” dixit Spielberg:

 

Et ça a déjà donné une première forme de réponse à la dernière question : oui, ça change la perception d’une œuvre (du moins d’une partie de celle-ci).