My so-called life, part 1.

Ma mère étant actuellement en plein chambardement pour cause de travaux chez elle, mes vieux agendas de lycée ont refait surface, et avec eux, les spectres de l’adolescence. “J’ai commencé à le regarder et puis finalement, je veux pas savoir. Même si ça fait quinze ans.” J’ai souri en pensant qu’elle avait peur de tomber sur les mots de mes petits copains de l’époque (d’autant plus drôle que j’étais alors “pucelle de la bouche”, selon l’expression consacrée dans mon collège)(on avait le sens de la formule, faut reconnaître). Je sais pas si j’aurais eu cette force à sa place. Dans le principe, je veux dire. Je me suis débarrassée de mes vrais agendas rigolos/embarrassants, ceux qui vont de la sixième à la quatrième, donc aucune crainte sur ce front. Je les ai impitoyablement éliminés passées mes années lycée, sous prétexte qu’ils n’étaient pas des agendas, justement, mais des cahiers de texte. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, que voulez-vous.

C’est vraiment dommage, pourtant, car peu de marqueurs sont plus révélateurs du caractère d’une adolescente que ses agendas de collège/lycée (à part peut-être les crayonnages au bic sur sa trousse). Qu’est-ce qui rend l’agenda si central dans la définition du caractère d’une adolescente? Etant aguerrie depuis quelque temps maintenant à l’analyse de documents historiques, ladies and gentlemen, incursion en 1996, dans le quotidien ordinaire d’une adolescente encore plus ordinaire de 14 ans tendance bonne élève sage mais parfois pipelette (c’est ce que disait mon carnet de liaison), via mon agenda de troisième :

1 – L’agenda en lui-même :

On ne le dira jamais assez : l’adolescence n’est pas un âge où on cherche à se démarquer, mais à rentrer le plus possible dans un moule. Le moule de ma banlieue proprette était couleur sépia. A adolescente ordinaire de banlieue, l’agenda afférent : le Quo Vadis option illustration corny regroupant au moins trois fantasmes d’adolescente des années 1990 – la promesse d’avoir du sexe hétéro avec un homme aux cheveux plein de vivelle, le tout aboutissant à une nécessaire maternité. Le genre d’agenda qui t’installe direct au troisième rang, un peu excentrée vers la porte : trop wannabe pour assumer d’être la fayote du premier rang, pas assez rebelle pour s’installer près de la fenêtre.

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2 – Le hunk hall of fame :

Un agenda de meuf se mesurait aux illustrations qui s’y trouvaient, piochées le plus souvent dans les Star Club et OK Podium de l’époque, parfois ailleurs, et regroupant invariablement un panorama plus ou moins ecclectique des resident hunks de l’époque, des top models aux acteurs mignons et chanteurs rebelles, en passant par les sportifs un peu cool. La première image est arrachée, j’en déduis donc qu’il s’agissait, comme les 2/3 des images arrachées de cet agenda, d’une photo de Leonardo di Caprio, dans toute sa gloire pré-Titanic, mon amour absolu à l’époque (parce qu’il était pas trop connu, tu vois, donc rien qu’à moi). Eh oui, j’avais récupéré les photos pour d’autres collages à peu près tout aussi artistiques.

De Kelly Slater à Johnny Depp (période Don Juan de Marco), Brad Pitt jeunot, déterminé à me donner du courage pour le brevet blanc, le regard *enjôleur* de Jonathan Brandis, me félicitant d’avoir réussi cedit Brevet blanc (enfin je suppose), Albert Delegue tournant le dos à un exercice sur Horace de Corneille… résumé pas 100% exhaustif des atermoiements hormonaux d’une adolescente ordinaire.

Jonathan Brandis, catégorie particulière du fantasme adolescent à mi-chemin entre le bégé et le bébé chat…

Et puis comme on est malgré tout encore dans cette transition de l’enfance, il faut aussi compter avec une chiée de photos d’animaux mignons et rigolos.

Ça devient embarrassant…

Bon sang que c’est embarrassant. Je commence à piger quelques petits trucs sur ma cote de popularité de l’époque, notamment pourquoi Isabelle C., la nana qui avait des Docs jaunes et qui avait fugué, me regardait avec un souverain mépris à chaque fois que j’essayais de lui parler (elle me faisait PEUR).

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3 – Les mots de copines.

L’autre échelle du cool des cahiers de texte d’antan. Ceux-ci servaient de faire-valoir. Ainsi, Adeline (guest star fréquente de mes agendas – et de mon adolescence d’une manière générale) jouait de la référence culturelle, et m’aidait à apparaître comme une jeune personne dans le coup (tsé, j’avais le CD 2 titres de Waterfalls, de TLC) et pas la dernière pour la rigolade via le recours topique à la private-joke (un vague fou-rire Aladdin-related l’année précédente). De son côté, Gwen laissait s’exprimer, avec un sens assez poignant du storytelling, l’être étant girly de l’adolescence, ce moment où l’on cherche à devenir femme, rappelant par là que nous n’étions pas au collège que pour gratter des cours sur des cahiers réglure seyes.

“Il y a vraiment de l’injustice sur cette Terre […] Pourquoi j’ai pas le physique de Cindy Crawford avec les mensurations de Claudia Schiffer…”

Il faut savoir que, dans mon collège, on avait décidé que les mots étaient suffisamment importants pour avoir leur carnet spécifique. Donc on avait deux trucs : le cahier de texte et le carnet de mots. On prenait ces choses-là très au sérieux, voyez-vous.

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Ceci dit, j’aurais beau jeu de me foutre de leur gueule : j’étais, quant à moi, ce genre de control freak qui gardait l’œil sur ses courbes de notes, et qui s’auto-décernait des fucking smileys de félicitations et des cartons rouges si ses résultats étaient décevants (la barre de la déception étant placée autour de 14)(la geek, putain)(au vrai sens du terme, celui qui n’a rien de chic).

Ça devient *très* embarrassant.

Croyez-moi, il faut avoir beaucoup de recul sur sa personne au moment de retrouver un truc pareil et de comprendre avec effroi quelle adolescente on était (je crois que j’ai déterré l’origine de ma migraine d’aujourd’hui, tiens). Et, ironie majeure, une de mes bêtes noires de l’époque, c’était l’histoire (mais je me souviens de la prof, une vieille fille borderline naine : she and I have unfinished business)

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Bref, FACT #38749 : pourquoi ne parle-t-on de l’adolescence que comme d’un âge rebelle ? Parce que sa version sur-ordinaire manque cruellement de sel. Ah ça, c’est pas une année qui m’aura coûté cher en paquet de clope (pas plus que celles qui ont suivi, remarquez). M’est avis qu’Angela Chase, du haut de ses 15 ans, avait bien fait de se faire sa couleur roux-supermarché et de commencer à arborer cette chemise plaid.