Un truc dont on parle assez peu à propos de la rédaction d’une thèse, c’est l’élasticité du temps. Je sais pas si je vois ça comme ça à cause de cette décision que j’ai prise d’enfin rouvrir Slaughterhouse-Five de Vonnegut (je l’avais acheté en 2011, pendant un moment de dérèglement hormonal)(y a abattoir dans le titre, cqfd). L’élasticité temporelle, donc. Celle-là même qui fait que j’ai passé 3 semaines à me rendre malade pour 5 pauvres lignes au coin d’un document (mais ça m’a permis aussi de découvrir la fonction “stabiloter” de l’Aperçu sur mac)(non, ça s’appelle pas stabiloter, mais ça devrait). Trois semaines de rénovation paisible de mes stocks de bile et d’atrabile, pour que, finalement, mes deux moments les plus productifs de ce début d’année soient, très exactement :
- vendredi 31 janvier, entre 18h56 et 19h22, dans la ligne 6 du métro parisien, en pleine heure de pointe, entre les arrêts Corvisart et Nation;
- ce jeudi 6 février, entre 8h17 et 8h28, pendant les quelques minutes qui me séparaient du début de mon premier cours, au cours desquelles je scribouillais dans un cahier pour me donner une contenance afin de ne pas embarrasser les étudiants qui devraient déjà avoir suffisamment honte d’être en avance à un premier cours de la journée, endossant ainsi le statut, peu enviable à la fac, de fayots de service.
Un total de trente-sept minutes d’idées claires, donc. Le truc permettant de voir le “so what” de l’argumentation, comme on dit dans notre jargon. Il paraît qu’on doit ça à Bailyn, merci à lui.
Le reste n’est qu’exploration des logiciels de bibliographie/Zotero Standalone configuration RHMC, découverte d’outils inutiles permettant de stabiloter des pdf, donc, lectures d’articles des années 70, une époque pas si lointaine en années Zara ou en années sci-fi (vous avez vu que les épisodes 4 à 6 de Star Wars ont moins vieilli que les épisodes 1 à 3 ?)(ces derniers, de toute façon, n’existent pas), terriblement antiques en années de recherche : les bouquins sont la plupart du temps des fac-simile de mémoires qu’on dirait tapés à la machine (peut-être, précisément, parce qu’ils sont tapés à la machine à écrire, American Typewriter peut pas test), tentatives de post-iter un mur avec des idées un peu décevantes, en espérant que ça finisse par venir, migraines migraines migraines migraines parce que ça vient pas.
Pendant ce temps-là, je vois mon tiroir à culottes et mon panier à linge sale agir comme un sablier un peu navrant, très éloquent sur l’état de négligence personnelle et de drame émotionnel dans lequel ce truc me plonge. Parce que quand, petit à petit, tous les dessous du tiroir sont écoulés, qu’on voit ressurgir, après même les vieux slops défoncés du renoncement, les tangas offerts dans un numéro été 2004 de Biba ou les Pockets achetés en 1999, quand on était au lycée et qu’on trouvait que cet élastique large avec DIM brodé dessus était classe quand il dépassait du jean taille basse, à tout moment, on entend la voix de Roy Scheider dire “you’re gonna need a bigger boat“. Quand on pense à cette fois où Orson Welles avait demandé à Rita Hayworth de mettre des dessous sexy pour filmer une scène habillée, “parce que toi, tu sauras que tu es sexy et ta performance n’en sera que meilleure” (c’est du moins la version que j’ai de cette légende urbaine), je donne pas cher des pages que j’ai produites en janvier, mais peut-être que ces 37 minutes de félicité scientifique vont m’acheter le temps nécessaire pour faire une lessive et repartir sur de bonnes bases (j’ai de l’adoucissant senteur jasmin, mais en vrai, ça ressemble surtout à l’odeur des dragibus).
L’élasticité temporelle, donc. J’ajouterais que ces deux gugus ne font rien pour aider à mon déboussolement.
Ce train va trop vite ou pas assez vite, ou les deux en même temps, mais je veux qu’il s’arrête ASAP.