Beaucoup de choses m’ont consternée quand j’ai commencé cette lecture de 50 Shades of Grey.
Roman tiré d’une fanfic publiée en ligne (ce n’est pas une façon d’en dénigrer le style, c’est littéralement le cas), la qualité de l’anglais, de l’histoire, du storytelling et j’en passe suffisent à me faire reconnaître que je ne dépasserai pas les 120 premières pages, même par humour et sens de la pop-culture (au-delà de ça, je n’aurai que moi-même à blâmer pour ces heures de ma vie à jamais perdues). Si on y ajoute le contenu “porno de bonne femme”, c’en est fait : j’ai jamais tenu devant un porno plus de 20 minutes, et en lire s’avère d’un ennui à peu près aussi palpable. A la limite, je me contenterai de ce tumblr conseillé par Mélanie, 50 Shades of Suck. Je crois pourtant que qui m’a le plus peinée dans cette lecture, c’est… Seattle.
Certes, 50 Shades avait été conçu au départ comme une fanfic de l’univers Twilight (dépeçant l’histoire de son côté mormon, si vous voulez ; Stephenie Meyer n’a pas approuvé). C’est comme si la localisation à Seattle avait quelque chose de finalement très naturel pour un récit à l’eau de rose un brin dégoulinant, pris entre l’univers Twilight, ses vampires qui scintillent au soleil et préfèrent vivre sous la pluie, dans une réminiscence toute Chateaubriandesque non-avérée, et les romances médicales torturée des internes du Seattle Grace Hospital. D’ailleurs, comment ne pas penser à Grey’s Anatomy quand le héros porte le même blaze que Meredith et Lexie, et surtout quand les ascenseurs jouent à peu près le même rôle non subtil de révélateur de tension sexuelle ? (ça aurait même mérité un ‘coincidence? I think NOT.‘ de bon aloi il y a un ou deux ans).
Seattle, donc, ville de la niaiserie pour housewife en mal de tension sexuelle ? Ne vous méprenez pas, j’aime Grey’s Anatomy comme mon prochain, mais cette épiphanie est un peu douloureuse. C’est qu’à une époque pas si lointaine, Seattle était plutôt la capitale des cheveux gras et du suicide de Kurt Cobain.
Bon sang, c’est le moment où on peut légitimement se demander comment les choses ont-elles pu si mal tourner.
Allons bon, comment est-on diable passé de : Kurt Cobain /le grunge / Cameron Crowe / les slackers / la Gen X / contre-culture, à : Meredith Grey / les ascenseurs / les tearjerkers / Team Edward ou Team Jacob / Twilight / mainstream hypermarketé ?
Quelque part dans ce magma de référence, l’évolution des préoccupations générationnelles des 20-30 ans doit certainement être en jeu. On n’a pas les mêmes idéaux à 20 ans en 1990 et à 20 ans en 2010. Il est sans doute assez fascinant de constater que le loverboy d’aujourd’hui (Edward Cullen) vient du même coin que celui d’il y a 20 ans (Lloyd Dobler), faisant de Seattle la ville où on quitte l’adolescence dans mon imaginaire (et sans doute dans celui de pas mal de monde). Mais le contenu, bon sang, le contenu ! Quand la sensibilité laisse la place à l’hypermatérialisme (il suffit de lire l’avalanche de ressorts hyper friqués dont usent les auteures de Twilight et de 50 Shades pour présenter leurs héros comme des idéaux masculins), quand l’underground devient emo, quand l’identité d’une ville comme Seattle semble à ce point dévoyée, il ne nous reste plus qu’à aller au café d’en bas noyer notre déception dans un demi. Au milieu de tout ça, notons que Starbucks et Microsoft tiennent bon la barre.
Ah ! je dois me rendre dans l’Etat de Washington pour comprendre.